jeudi 9 février 2017

"Louis parmi les spectres"

Louis parmi les spectres,
Fanny Britt & Isabelle Arsenault, 
éd. de La Pastèque, dès 10 ans. 


Le premier mot qui me vient en pensant à Louis parmi les spectres est "Délicatesse". "Suggestion" aussi. Dans le texte comme dans le trait. 
Les spectres de Louis sont ses blessures, les blessures d'une petite vie parmi d'autres. Presque banales. Des parents séparés, un père alcoolique auquel la nostalgie des jours heureux fait remonter des larmes dans lesquelles il se noie. La maison familiale à la campagne, désormais monoparentale, vidée de ses rires et de ses odeurs de gâteaux, l'appartement de maman en ville avec vue imprenable sur l'autoroute, le bus entre les deux. Les nuages qui pleurent comme le père, Truffe, le petit frère, ses questions, sa naïveté et pour qui tout cela n'est qu'un jeu. Pas encore abîmé. 


Boris, le meilleur pote qui pousse Louis à être courageux et à parler à Billie. Billie, c'est la lumière, le soleil, une sirène à lunettes qui intimide parce qu’elle est forte, qu'elle lit un livre par semaine et qu'il faut en être digne. Billie, c'est l'amour, celui qui explose le cœur et d'après ce que Louis en sait, l'amour, ça finit pas très bien. 
Par petites touches, avec un langage poétique qui est souvent celui de l'enfance, Fanny Britt nous livrent tout ce que les enfants perçoivent malgré tout, ce qu'ils comprennent malgré nous, ce qu'ils espionnent, veulent protéger, les faiblesses des adultes qui leur fait honte et abîment leur confiance en la vie, les éclats de voix durant la nuit. "J'ai fermé les yeux très fort pour me boucher les oreilles" nous dit Louis: une petite âme qui s'effrite... Les dessins d'Isabelle Arsenault font corps avec les voix, en demi teinte, poésie et délicatesse. Le noir et le marron dominent. Crayons, pastels, écoline. Quelques touches de turquoise, comme la pluie des larmes, la tristesse, le monde intérieur. Sauf quand on parle d'espoir et d'amour, comme avec Billie et son apparition couleur jaune citron.



Tout comme dans Jane, le renard et moi, on assiste à une enfance meurtrie. Les perspectives de résilience résident soit dans la littérature et la nature, soit dans l'amour et la nature. Dans les deux histoires, l'espoir de rédemption, l'ouverture, l'idée que le bonheur est peut-être possible est incarné par un animal sauvage: le contact fugace avec un renard dans la première, le lien privilégié et passagé avec un raton-laveur blessé et confiant dans la seconde. Confiant comme l'est Louis face à la tentative d'abstinence de son père et à ses parents de nouveau amoureux, confiant comme la couleur pêche qui vient teinter les quatre jours de vacances à New York...


Face à la fragilité des adultes, les fêlures, les faiblesses, la peur, les mensonges bienveillants, ce qui fait que les parents sont aussi des êtres humains qui essaient, comme ils le peuvent, de mener la barque de leur vie, Louis grandit. Et c'est avec courage, comme son père entré en cure de désintoxication ou comme sa mère qui ose, malgré ses craintes, laisser son fils s'émanciper peu à peu, que Louis, trouve enfin la force d'ouvrir son cœur même s'il sait, plus que quiconque, que le cœur est un muscle fragile.

Ps: les éditions de la Pastèque sont des éditions canadiennes, donc il y a quelques petites adaptations de langage à faire. Dans Louis parmi les spectres, on ne dit pas cailloux, on dit roches, les imbéciles sont des niaiseux, les pièces se perdent non pas dans les plis mais dans les craques du divan, on se coupe le toupet et non la frange,  Truffe flatte l'abeille au lieu de la caresser et il est correct veut dire qu'il va bien.
Exemple p115, où la mère de Louis apparaît un matin le visage étampé d'un sourire niaiseux.