mercredi 25 mars 2015

"Tous les héros s'appellent Phénix"


Tous les héros s'appellent Phénix,
Nastasia Rugani, éd. L'école des loisirs, 
coll. Médium, dès 15 ans. 


En lisant la quatrième de couverture, j'ai hésité: l'enfance bafouée, je n'aime pas.

C'est difficile... Il faudrait entrer dans ce récit vierge pour subir le choc de manière aussi violente que l'a vécu Phénix, pour voir si les petites choses troubles dans le comportement de Jessup auraient pu nous avertir. Mais on a lu le résumer, alors on sait: "Comment auraient-elles pu se douter qu'elles venaient de faire entrer le loup dans la bergerie?". Alors, on scrute, on épingle une attitude rigide, un haussement de ton, une petite hypocrisie. On est en attente, on redoute. Ainsi se passe la première moitié du roman, à accompagner ces deux sœurs unies par un amour fusionnel, surtout depuis le départ du père, surtout avec une mère qui n'en a jamais été vraiment une. Deux sœurs unies dans un monde-refuge entretenu et nourri par une curiosité insatiable. Il y a Phénix, 17 ans, réservée et timide, et Sacha, 8 ans, volubile, sociable, intelligente et gai comme un pinson. Et puis, il y a l’intrus: monsieur Smith, le séduisant prof d'anglais, le Cary Grant du lycée, celui que tout le monde reconnaît et adule. Monsieur Smith, le séducteur qui tisse patiemment sa toile autour du nid familial dysfonctionnel jusqu'à obtenir ce qu'il veut: se l’approprier.

A partir de là, tout change. La violence s'incruste insidieuse et secrète, d'abord anecdotique puis usuelle. L'angoisse remplace la curiosité intellectuelle et devient l'unique univers de Phénix. Le beau Jessup se fait bourreau et manipulateur et chez le lecteur, une voix hurle: Pourquoi? Pourquoi! Pourquoi ne rien dire? Pourquoi s'enfermer dans sa détresse? Pourquoi tourner le dos aux mains tendues?
On observe, impuissant, la loi du silence s'installer et ça nous crève. Alors, j'avoue, j'ai été lire la dernière phrase pour trouver la force de continuer jusqu'au bout. Et oui, ça se termine bien pour les deux sœurs (si on peut utiliser le mot "bien"...) mais en fermant le livre un goût amer subsiste: "Et si...? Et pour tous les autres enfants que personne n'écoute malgré leur silence?"